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Évaluation des compétences numériques en grande section (par R. Brissiaud)
 Mis en ligne en mars 2010
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La Direction Générale de l’Enseignement Scolaire vient de mettre à la disposition des enseignants de grande section des épreuves d’évaluation des compétences numériques des enfants [1].
Les auteurs de ces épreuves ont dû faire des choix et ils avertissent d’emblée : « Parmi les compétences à faire acquérir à l’école maternelle, on a privilégié celles qui sont les plus déterminantes pour la réussite scolaire ultérieure de l’élève. »

Et pourtant, dans le domaine des nombres, la tâche privilégiée par les auteurs de l’évaluation est loin de révéler des compétences « déterminantes pour la réussite scolaire ultérieure de l’élève ».
Nous allons voir qu’au contraire, elle conduit souvent les pédagogues à se tromper quant aux compétences numériques des enfants parce qu’elle provoque des « pseudo réussites ». Quand c’est le cas, les pédagogues ne s’alarment pas alors qu’ils le devraient : c’est l’échec scolaire, et non la réussite, qui se prépare ainsi.

La tâche en question est celle où l’on demande aux élèves, face à une image avec 8 croix dessinées, de les compter et d’écrire combien il y a de croix.
Cette tâche (« Combien y a-t-il de… ») semble tellement importante aux auteurs de l’évaluation qu’elle est également proposée avec 5 ronds, 13 étoiles, 16 lunes, 26 carrés et enfin 22 lettres « V ».
Il s’agit d’un test de comptage mais les auteurs de l’épreuve, eux, parlent de compétence à « dénombrer une quantité en utilisant la suite orale des nombres connus ».
Cette façon de s’exprimer est surprenante parce qu’il est bien établi que la réussite à cette tâche peut masquer une méconnaissance fondamentale des nombres et même des tout premiers d’entre eux.

Des enfants qui donnent l’illusion de savoir dénombrer
Dans une des recherches récentes sur le sujet (Sarnecka & Carey, 2008 [2]), 67 enfants (ils ont entre 2 ans 10 mois et 4 ans 3 mois) se voient proposer trois tâches numériques :

  • On teste leur comptage : ils doivent compter une collection de 10 jetons et dire combien il y en a (Connaissent-ils la suite verbale ? Savent-ils la mettre en correspondance terme à terme avec les jetons de la collection via un pointage avec le doigt ?)
  • De façon plus inhabituelle, une 2e épreuve permet de tester si les enfants savent que le dernier mot prononcé lors d’un comptage (un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept) n’a pas le même statut que les autres mots parce que c’est lui qui donne la réponse attendue (il y a sept jetons).
    Cette connaissance est testée indépendamment parce que toutes les études antérieures montrent qu’elle est loin d’aller de soi.
  • Une 3e épreuve où l’on demande aux enfants de donner un nombre croissant de jetons : « Donne-moi 3 jetons ». Puis, après que les jetons aient été remis dans le tas initial : « Donne-moi 4 jetons »… (tâche : « Donne-moi N jetons »).

Intéressons-nous aux 53 enfants (sur les 67) dont on est tenté de dire qu’ils savent dénombrer jusqu’à 10 parce qu’ils ont une performance parfaite aux deux premières épreuves, celles où l’on demande « Combien y a-t-il de… » [3].
Lorsqu’on examine leurs performances à la 3e épreuve, « Donne-moi N jetons », on observe que :

  • 6 enfants savent donner 2 jetons mais échouent avec 3 jetons, 4 jetons, 5 jetons…. Ainsi, les deux premières épreuves donnent l’illusion que ces 6 enfants savent dénombrer jusqu’à 10 jetons alors qu’en réalité, ils échouent à donner 3 jetons !
  • 8 autres enfants savent donner 2 ou 3 jetons mais ils échouent avec 4, 5, 6… ;
  • 5 autres enfants savent donner 2, 3 ou 4 jetons mais ils échouent avec 5, 6, 7…

Ainsi, concernant le nombre 5, les deux premières épreuves donnent l’illusion que 53 enfants savent dénombrer une collection de 5 jetons puisqu’ils savent répondre à la question « Combien y a-t-il de jetons ? » jusqu’à 10 jetons.
En réalité, 19 enfants (6 + 8 + 5), c’est-à-dire 36% d’entre eux, échouent à donner 5 jetons ou plus. On ne peut évidemment pas dire que ces enfants comprennent les nombres correspondants !

Lorsqu’un élève sait compter loin dans le contexte de la tâche « Combien y a-t-il… », cela n’assure d’aucune façon qu’il comprend les premiers nombres.
Si on lui a montré de manière répétée que pour compter il faut pointer l’un après l’autre les éléments de la collection ; si on l’a entraîné à coordonner le pointage et la récitation ; si, enfin, on a souligné à maintes reprises que le dernier mot du comptage est la réponse à la question « Combien… » ; à terme, l’élève reproduira de manière scrupuleuse le comportement qu’on lui a montré !
Mais, dès que la question n’est pas du type : « Combien y a-t-il… », il ne pensera pas à compter parce que le comptage n’est pas pour lui un moyen d’accéder au nombre : c’est seulement un moyen de satisfaire l’attente des adultes dans le contexte bien précis de l’interrogation : « Combien y a-t-il de… ». […]

Rémi Brissiaud, M. C. de psychologie cognitive à l’Université de Cergy-Pontoise (IUFM de Versailles). Laboratoire Paragraphe (Paris 8)
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