Les oublis de la politique de l’Éducation Prioritaire
Selon l’OCDE, la France fait partie des pays qui réduisent le moins les inégalités par l’école. La politique de l’Éducation prioritaire qui devait répondre à cette problématique semble être un échec.
L’audition du Directeur général de l’enseignement scolaire devant une commission de l’Assemblée nationale et la publication d’un rapport ce 26 août, permettent de revenir sur les causes des échecs, des réussites, mais aussi sur les oublis de la politique de l’Éducation prioritaire.
Ce mardi 23 juillet, Jean Paul Delahaye, Directeur général de l’enseignement scolaire, était auditionné devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation pour établir un bilan des politiques d’éducation prioritaire et pour proposer des pistes pour améliorer l’efficacité des dispositifs mis en place. 1 milliard est donné en plus à ces zones.
Avant d’en venir à ce que je n’ai pas entendu dans cette audition en trois parties (exposé de JP Delahaye, questions des députés, réponse de JP Delahaye), il me semble important de souligner la qualité et la finesse des observations du directeur général qui montrent une bonne connaissance du terrain.
Ainsi, il pointe quelques réalités de ce qui semble à ses yeux les causes d’un échec de la politique d’éducation prioritaire : un pilotage discontinu, la multiplication des zones d’éducation prioritaire ce qui occasionne un saupoudrage des moyens dans des lieux qui n’ont pas toutes les mêmes caractéristiques de difficultés.
Il est regrettable (je pinaille, mais quand même) d’utiliser le terme de « pilotage discontinu » terme du vocabulaire managérial. Il ne s’agit en fait que d’un manque de volonté politique qui se caractérise par de brusques à-coups et de longs abandons. « L’absence de volonté politique qui s’inscrit dans la longue durée » est toutefois une réalité bien palpable.
Le saupoudrage des moyens a conduit à la multiplication des zones.
Le développement des zones s’explique par une sous-dotation générale des écoles primaires françaises.
D’abord, la masse investie en nombre de postes ne permet pas de faire baisser suffisamment fort le nombre d’élèves par classe pour que cela soit efficace (en moyenne 1 ou 2).
Ainsi, quand le ministère essaie de concentrer les moyens dans les zones les plus en difficultés, les zones à dépouiller sont déjà si pauvres en moyens que les élus locaux, sous pression des établissements et des parents, engagent un bras de fer avec le ministère.
Les acteurs de terrain gagnent régulièrement, car les arguments à faire-valoir sont souvent justifiés. On comprend pourquoi l’extension de 10 % des élèves couverts par les dispositifs d’éducation prioritaire en 1981est aujourd’hui à 20 %. Il est plus facile de passer le seuil pour entrer dans le dispositif que de faire la route dans l’autre sens.
À bien y regarder, l’éducation prioritaire est un miroir grossissant des difficultés de l’école française.
Pour marquer les esprits des difficultés de cette politique, JP Delahaye cite la circulaire 28 décembre 1981, la première qui institue l’éducation prioritaire : « S’il apparaît nécessaire de prévoir une action soutenue s’étendant sur plusieurs années, il serait peu souhaitable d’envisager une assistance permanente qui risquerait d’aboutir à la constitution de ghettos scolaires. ». Nous y sommes.
Les députés tour à tour en cherchent la cause : a-t-on mis en place les outils permettant d’évaluer correctement l’utilisation des moyens supplémentaires dans ces zones ?
Ne faut-il pas plus d’autonomie afin de s’adapter aux réalités locales et diriger plus fermement les équipes enseignantes ? Comment éviter les effets de seuil entre entrée du dispositif d’éducation prioritaire et sortie du dispositif ? Comment répondre au gigantesque turn-over des enseignants, près de 60 % de départ chaque année, dans ces établissements ? Comment généraliser les expériences positives ? Comment répondre aux habitudes d’évitement de certains établissements ?
Je ne reviendrai pas sur l’illusion du chef d’établissement tout puissant qui mettant chacun au pli renverse la table pédagogique.
Les auteurs de « Ecole : les pièges de la concurrence » ont montré que ce n’est pas la position de surplomb qui permet de voir apparaître un effet « -chef d’établissement », mais la qualité humaine d’une personne qui facilite la création de liens entre les enseignants et entre l’établissement et l’extérieur.
JP Delahaye esquisse bien, dans ses réponses aux députés, la difficulté d’évaluer la performance des établissements : comment demander à l’école de créer de la mixité quand elle est implantée dans des quartiers où il n’y en a aucune ?
Pourquoi estimer qu’un établissement en zone socialement défavorisée doit sortir du dispositif quand il réussit ? N’est-ce pas précipiter son échec futur ? N’est-ce pas sanctionner la réussite ?
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Sébastien Rome
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