Dans un ouvrage remarquable qui reste une référence , « La République des enseignants », Emmanuel Davidenkoff et Brigitte Perruca écrivaient en 2003, sous le titre « Figures menaçantes » :
Ils devaient être les fers de lance de la république des enseignants. Ses chevaux-légers. Son avant-garde éclairée. Ses managers enthousiastes. Une force de proposition et de conviction. Des capitaines autant que des assistantes sociales. Le turbo de la machine.
Ils sont vécus, au mieux, comme des enquiquineurs, au pire comme de pleutres suppôts d’une bureaucratie post stalinienne. De tous les interlocuteurs des enseignants, les inspecteurs sont sans doute ceux qui font l’unanimité la plus évidente. Contre eux.
Pas une voix pour évoquer la difficulté de leur fonction, qui les place pourtant dans une situation intenable, tout autant que celle des enseignants qu’ils inspectent : agir sans leviers efficaces. Leur bâton n’effraie guère faute de carotte à leur opposer.
Pire, ils semblent concentrer toutes les critiques que les enseignants adressent à leur employeur : gestion impersonnelle des ressources humaines, promotion à l’ancienneté, manque de formation par rapport à certaines situations, etc. L’inspecteur en tant qu’animateur pédagogique (l’autre versant de sa fonction) se trouve doublement dans la situation du messager porteur de mauvaises nouvelles que le roi fera décapiter pour cette raison….
Ce constat terrible aurait mérité quelques explications et nuances. Le fait est que peu de personnes ont réagi à l’époque et que les syndicats d’inspecteurs ont fait le choix du silence. Qu’en est-il près de sept ans plus tard ?
La situation s’est gravement détériorée.
L’image du corps, son impact, sa crédibilité sont devenus si faibles que bien des spécialistes s’interrogent sur son avenir et se demandent même si les mesures prises depuis quelques années, mettant les inspecteurs sciemment dans les pires difficultés de leur histoire, ne sont pas inscrites dans la perspective d’une mort annoncée, parfaitement cohérente avec le contexte de réduction de la dépense publique et de libéralisation du système.
Ils sont malheureusement les seuls à ne pas s’en rendre compte et à « faire semblant » en avalant, parfois goulument, toutes les couleuvres.
La suppression de leur formation initiale, les conditions de leur recrutement qui n’a aujourd’hui plus rien à voir avec toute idée de concours républicain, l’introduction du mérite dans leur rémunération, le mépris avec lequel ils sont considérés dans les séminaires inter académiques où ils sont ouvertement traités comme des valets ou des exécutants interdits de pensée, faux experts jamais consultés, producteurs de milliers de rapports ignorés de l’institution, rendent leur position infiniment moins confortable encore qu’en 2003.
Comme dans les couples en perdition, ils sont les derniers à savoir. Réfugiés dans leur territoire, ils ignorent totalement ce que pensent réellement les enseignants de leur action et de leur conception du métier.
Une tradition infantilisante perdure malgré le temps, le changement des générations et l’élévation du niveau de recrutement des enseignants. On ne dit pas à un inspecteur que l’on n’est pas d’accord, qu’il a tort, qu’il dit n’importe quoi, que l’on s’ennuie dans ses conférences, qu’il affirme le contraire de ce qu’il disait quelques années auparavant, que ses attitudes relèvent de l’autoritarisme et du manque de respect…
Cela ne se fait toujours pas. Même les syndicats d’enseignants, régulièrement interpellés par leur base sont très réservés et recherchent systématiquement des arrangements discrets en cas de conflit, considérant qu’il vaut mieux ce système hiérarchique qu’un transfert du pouvoir à des élus ou à aux parents…
Pierre Frackowiak
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