Près de 20 000 enseignants se relaient pour accueillir quelque 30 000 enfants d’infirmiers, de médecins ou autres personnels de santé mobilisés dans les hôpitaux pour lutter contre le Covid-19.
Inquiets, sans protection, ils ont quand même choisi d’aller dans les écoles.
David n’a pas réfléchi une seule seconde aux risques éventuels. Ce professeur des écoles dans le XIIIe arrondissement de Paris s’est porté volontaire pour accueillir les enfants du personnel soignant sur le front de la lutte menée pour soigner les malades du Covid-19.
Il est disponible puisque sa fille passe ce confinement chez sa mère dont il est séparé. L’enseignant, comme toute l’Éducation nationale, a été pris de court par l’annonce de la fermeture des établissements scolaires. Le lendemain de l’annonce présidentielle, il a dû s’occuper surtout de ses propres élèves dans son école classée en éducation prioritaire pour assurer cette fameuse « continuité pédagogique », malgré les difficultés évidentes comme la fracture numérique.
Quelque 20 000 enseignants continuent de se rendre dans les écoles un ou plusieurs jours par semaine, pour accueillir les 30 000 enfants d’infirmiers, de médecins ou d’autres personnels mobilisés dans les hôpitaux et les cabinets médicaux pour lutter contre l’épidémie de Covid-19.
Il a aussi fallu organiser au plus vite leur accueil. Car le gouvernement l’a promis, tous les enfants de médecins à l’hôpital ou libéraux, d’aides-soignants, d’infirmières, de cadres de santé ou de certains organismes comme les salariés des agences régionales de santé (ARS) pourront être accueillis dans les écoles et les collèges.
Pour les enfants de moins de trois ans, l’accueil en crèche est organisé localement par les départements. Des assistantes maternelles aussi peuvent continuer à accueillir ces enfants et certaines se sont émues du flou des décisions du gouvernement.
Les familles concernées doivent présenter un justificatif professionnel pour que leur progéniture soit accueillie à l’école.
Mais un tiraillement subsiste parmi les acteurs de la profession, désireux de soulager les soignants d’une part, mais apeurés d’attraper le virus auprès des enfants et de contaminer les proches en se portant volontaires.
Floriane, professeure en école maternelle à Nice, ne s’est pas non plus posé de questions quant à son investissement. « J’ai envie que les soignants aillent travailler l’esprit léger et laissent leurs enfants avec des enseignants qu’ils connaissent. »
Rien à voir avec l’école habituelle. Les consignes de sécurité, comme le respect des gestes-barrières et d’une distance minimale, rappellent à tous qu’il ne s’agit pas des conditions scolaires idéales. Les élèves devront être regroupés par classes de huit à dix enfants au maximum pour éviter une trop grande promiscuité entre eux.
Les petits doivent aussi éviter de s’échanger des stylos, des jeux, et les enseignants les invitent à se laver les mains encore plus régulièrement que d’habitude.
Dans l’école de David, les volontaires ont respecté cette préconisation malgré les difficultés inhérentes à la gestion d’enfants. « Au début, raconte-t-il, on a séparé les enfants dans un grand préau par petits groupes. Ils étaient vingt-cinq, on a pu faire des groupes de cinq. »
Mickaël est professeur des écoles en maternelle à Nantes. Cet enseignant exerce dans une école proche du CHU où il y a forcément des enfants de soignants. Il s’est porté volontaire « pour être utile pour ces petits dont les parents sont ultra-occupés », car lui-même n’est pas père et dispose donc de temps libre. De son propre aveu, le suivi pédagogique à distance n’est pas évident à mettre en œuvre pour des élèves de maternelle.
« Ce n’est pas le même enseignement que d’habitude, ils vont avoir plus d’autonomie. Le premier jour, il y avait sept élèves de maternelle au primaire. Aujourd’hui, vendredi, une quinzaine pour trois enseignants et le directeur. »
Un communiqué publié le 14 mars par plusieurs organisations syndicales d’enseignants après un point de Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, sur le Covid-19, a créé la polémique, car il appelait les enseignants à exercer leur droit de retrait précisément pour des raisons de sécurité.
Mais « il ne s’agit évidemment pas de refuser d’accueillir les enfants de soignants », a assuré le secrétaire général de la FSU, qui déplore auprès de Libération une « incompréhension ». Certains syndicats ont toutefois déploré l’absence de savon, de gel hydroalcoolique ou de masques dans certaines écoles.
Comment assurer la sécurité des enseignants alors qu’aucun matériel n’est mis à leur disposition pour se protéger pour le moment ? Pour pallier les manques sanitaires, des conseils s’échangent, comme ici sur le site du Snuipp-FSU de Seine-Maritime.
« Pour les enseignants […], douche et shampooing en rentrant chez soi avant de voir quoi que se soit (sic). C’est ce qu’on fait nous. Lavage de mains au moins toutes les heures, essayer de garder un mètre entre les enfants. Nettoyer les surfaces et les poignées de porte régulièrement avec eau de Javel ou Sanytol régulièrement au moins deux fois le matin et idem pour l’après-midi. »
Comme souvent, le système D prime. « On a essayé de récupérer des masques par les directeurs dans d’autres écoles qui n’en ont pas besoin pour le moment. C’est l’autogestion et la solidarité », rapporte encore David.
Ce dernier explique qu’il n’a pas pensé aux risques éventuels, même s’il a pris la décision de travailler avec des gants. « J’ai perdu ma mère l’année dernière, elle a passé dix jours à l’hôpital, et le personnel soignant a fait un boulot formidable, alors je veux les aider à mon tour. Je ne mets pas de proches en danger, je n’ai pas ma fille avec moi. Je ne suis pas un héros, je suis un travailleur, mais j’exige une sécurité matérielle et qu’il n’y ait pas trop d’enfants, même si le risque zéro n’existe pas, car on n’arrive pas à les tenir à distance les uns des autres. »
Mickaël explique aussi qu’aucune protection n’a été mise à sa disposition. « On est restés loin les uns des autres, on s’est lavé les mains souvent. On évite de toucher les poignées de porte, on emprunte celles qui sont ouvertes. Ils arrivent avec le travail à distance qu’ils ont.
Ce n’est clairement pas la classe habituelle. Ils font de la lecture, des jeux et ils jouent dehors. » Un hybride entre garderie et centre de loisirs en somme.
La situation est délicate. Olivier, un animateur de centre de loisirs dans une ville en région parisienne, explique refuser pour le moment de se rendre dans son école. D’abord parce qu’il n’y a pas eu de consignes concernant cet accueil.
« Quand tout s’est accéléré, la semaine dernière, nous n’avons eu aucune consigne ni protection. On savait que des enfants étaient revenus d’Italie. Nous avons été en contact tous les jours avec eux, le midi à la cantine, le soir après l’école et la journée complète le mercredi. » L’animateur explique qu’ils ont des contacts rapprochés avec les enfants. Même lors des jeux dans le préau.
Quand sa hiérarchie réclame aux animateurs et aux Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles, soit l’assistant de l’enseignant) de revenir à l’école pour s’occuper des enfants de soignants, David s’étrangle. « Ils ne veulent même pas qu’on reste en quarantaine pour être sûrs qu’on n’est pas malades comme on a été exposés.
Et cela met les personnels en danger, beaucoup viennent de loin et prennent les transports. » Les animateurs décident alors d’écrire à leur direction qu’ils n’allaient pas se déplacer.
Un Atsem est venu pour faire l’accueil. Deux enfants ont été déposés par leurs parents et ont été gérés par le directeur. Olivier concède que cette situation est compliquée, mais il tient à ce que la sécurité des équipes prime.
« Je ne prends pas des vacances là, je dis juste que je veux être sûr de ne pas être malade. Si après quatorze jours de confinement je n’ai aucun symptôme, je me porterai volontaire pour l’accueil des enfants. »
Virginie Akiout, enseignante et secrétaire générale du Snuipp pour les Bouches-du-Rhône, confirme que l’animateur de centre de loisirs n’est pas le seul à s’inquiéter. Elle a reçu pléthore d’appels d’enseignants inquiets, attachés à la continuité du service public, mais aussi soucieux de rester en bonne santé.
Elle rappelle que tous les enseignants mobilisés l’ont fait sur la base du volontariat. Mais cela n’éteint pas les craintes.
Les enseignants et les écoles ne sont équipés ni de masques ni de gels hydroalcooliques. « Les personnels soignants sont beaucoup exposés au virus et leurs enfants aussi. Or, ils le véhiculent. » Des roulements ont été mis en place pour éviter qu’un seul petit nombre d’enseignants ne soient exposés.
« C’est tellement inédit qu’on gère l’urgence et qu’on voit aussi l’impréparation », note Virginie Akiout. Le recensement des enfants de soignants s’est fait à la dernière minute.
Pire, selon elle, « La plupart des écoles n’ont pas été nettoyées après le vote de dimanche dernier, et ce n’est pas faute d’avoir prévenu que les conditions sont loin d’être requises pour l’accueil. »
Cela n’a pas dissuadé Laurence, enseignante RASED à Aubagne (Bouches-du-Rhône) et déléguée du personnel au Snuipp, de faire partie des volontaires dans sa ville. Dans le cadre de ses activités syndicales, elle a aussi reçu beaucoup d’appels de collègues « catastrophés ».
Elle explique que « certains sont requis alors qu’ils ont des enfants, d’autres ont peur de ramener le virus à la maison, mais se sentent coupables de refuser ».
Au regard de la gravité de la situation, explique encore Laurence, il est nécessaire de se protéger autant que possible, sans matériel. Les douze enseignants volontaires devront être présents deux matinées ou deux après-midi par semaine.
« Il n’y aura pas plus de quatre ou cinq enfants. On a réfléchi avec l’inspecteur et la directrice pour trouver la salle la plus grande avec des ordinateurs, des jeux. Les enfants seront à grande distance entre eux et de nous, on va les accompagner. On économise nos forces ensemble.
C’est quand même ubuesque de garder ces enfants sans pouvoir les approcher parce que spontanément les petits de maternelle viennent nous faire des bisous, mais j’imagine que leurs parents leur ont expliqué. »
Mickaël ne panique pas non plus. « Je me dis que ça va aller si je fais attention et que si je dois l’attraper, je l’attraperai ce virus. Je me dis aussi que ça fait du bien de travailler et de sortir un peu, car on n’est qu’au début du confinement. »