À rebours de la politique éducative déployée par le ministère, la FSU-SNUipp, syndicat majoritaire chez les enseignants du premier degré, s’engage avec près d’une cinquantaine de chercheurs et personnalités de l’éducation pour une autre politique éducative.
Tribune publiée sur Le Monde.fr
Permettre à toutes et tous d’acquérir une culture commune offrant les outils pour penser et transformer le monde afin de répondre aux enjeux écologiques et sociaux : telle est l’ambition qu’une démocratie devrait assigner à l’École. La période que nous vivons, marquée par l’intrication des crises climatique, sanitaire, sociale et politique, des tensions et conflits internationaux, montre à quel point la maîtrise de savoirs complexes est indispensable pour agir en citoyenne et citoyen éclairé et émancipé.
À rebours de cette ambition, la politique éducative déployée lors du quinquennat précédent a érigé le « lire, écrire, compter, respecter autrui » comme seul horizon de l’école primaire. Ce resserrement sur ces apprentissages dits « fondamentaux » a signifié une réduction de l’ambition scolaire, réduisant la place de pans entiers de savoirs pourtant indispensables à la réussite scolaire et à la compréhension du monde. À cela s’ajoute la focale mise sur un apprentissage technique des compétences les plus instrumentales de ces disciplines jugées fondamentales, au détriment d’autres compétences de plus haut niveau et de l’exigence d’un accès de tous les élèves aux savoirs complexes et au sens des apprentissages. Loin de réduire le caractère inégalitaire de notre système scolaire, cette politique éducative l’a au contraire renforcé en pénalisant en premier les élèves des classes populaires.
Le ministre Gabriel Attal a décidé de poursuivre dans cette logique en promettant un « choc des savoirs » en serrant toujours plus fort la vis des « fondamentaux ». A cette fin, il crée une mission « exigence des savoirs » censée délivrer ses conclusions en l’espace de deux mois pour une application à la rentrée prochaine.
Une fois de plus, c’est dans l’urgence que l’avenir de l’école et des élèves se décide. Alors que l’école a besoin de stabilité et de temps long, une nouvelle révision des programmes et une remise en cause de l’organisation de l’école en cycles sont annoncés. Ces modifications entraîneraient un bouleversement en profondeur d’un système déjà éprouvé par les incessantes révisions de programme et multiples réformes et dispositifs empilés ces dernières années. Or, nous le savons, une réforme ne peut aboutir que si elle rencontre l’adhésion des personnels. Qui peut croire qu’une consultation numérique leur permettra d’être associés et de témoigner de leur expertise professionnelle ?
Récemment, le ministre exposait dans la presse sa conception des apprentissages en lecture/écriture, se permettant de donner des injonctions aux professionnels de l’éducation que sont les professeurs. Imagine-t-on le ministre de la santé prescrire un protocole de consultation clinique aux professionnels de la santé ? Le tout, sans jamais considérer la réalité des conditions d’enseignement et d’apprentissage des élèves, comme le nombre d’élèves par classe, domaine qui relève davantage de ses prérogatives et à propos duquel il n’a aucune proposition à faire….
Le métier de professeur des écoles est un métier de haute qualification, complexe, fondé sur la capacité à analyser ce qui fait obstacle aux apprentissages chez les élèves tant d’un point de vue didactique que cognitif et la capacité pédagogique et didactique à prévenir les difficultés et à y remédier, ce qui suppose un solide bagage de gestes professionnels.
En France, la pédagogie est éclairée par de multiples travaux de recherche effectués et publiés en sciences de l’éducation et dans d’autres domaines de la recherche par des universitaires en lien avec le terrain qu’est la classe. Ces travaux sont étayés et montrent la complexité des processus d’apprentissages, en particulier l’importance d’acquérir des compétences de haut niveau, telle que la compréhension en lecture.
La profession enseignante n’a donc que faire des injonctions d’un ministre, basées sur des convictions stéréotypées qui entretiennent la vision nostalgique et passéiste d’une école qui réalisait le tri social à l’issue de la scolarité primaire.
Le rôle d’un ministre est de donner les moyens aux professionnels de remplir leur mission, et alors que le budget 2024 a été présenté et prévoit la suppression de plus de 1700 postes dans le premier degré, il est clair que cette mission « exigence des savoirs » ne s’accompagnera pas de moyens pour l’école. Pourtant, beaucoup d’experts le disent, il faudrait profiter de la baisse démographique pour baisser significativement le nombre d’élèves par classe.
Par ailleurs, il faut garantir la formation des personnels de l’Éducation à toute la recherche, par une formation initiale et continue de qualité, renforcer la place des mouvements pédagogiques, œuvrer à respecter les métiers de l’enseignement pour permettre à l’École de relever les défis qui lui sont posés.
Nous, chercheuses et chercheurs, formateurs et formatrices, personnels des écoles, partenaires de l’école, nous adressons solennellement au ministre : la rupture avec des « fondamentaux » altérant les savoirs et les situations d’apprentissage est indispensable. Considérant que toutes et tous sont capables, nous affirmons que l’École doit garantir aux élèves les moyens d’acquérir tous les savoirs nécessaires à l’émancipation individuelle et collective. Face à la gravité des situations climatiques et sociales, c’est un enjeu de justice sociale. Accorder la priorité à l’école primaire, y associer les personnels, pour donner un nouveau souffle à notre démocratie !
DAVID Guislaine, CO SG et porte-parole de la FSU-SNUipp
TURKI Blandine, CO SG de la FSU-SNUipp
WALLET Nicolas, CO SG de la FSU-SNUipp
ALLARD Cécile, Maîtresse de conférence en didactique des mathématiques
BABLET Marc, Inspecteur d’académie honoraire
BAUTIER Elisabeth, Professeur des universités émérite
BEAUMANOIR-SECQ Morgane, Maîtresse de conférence en sciences de l’éducation et de la formation
BERNARDIN Jacques, Président du GFEN
BOIRON Véronique, Maîtresse de conférences en sciences du langage et didacticienne
BONNERY Stéphane, Professeur en sciences de l’éducation
BUCHETON Dominique, Professeur honoraire des Universités en sciences du langage et de l’éducation
CHAMPY Philippe, Ancien éditeur
CHENOUF Yvanne, ex enseignante et formatrice en lecture et écriture
CHIROUTER Edwige, Professeur des universités - Philosophie de l’éducation
CLERC Pascal, Professeur des universités en Géographie
CLERC-GEORGY Anne, Professeure
CONNAC Sylvain, Professeur des universités en sciences de l’éducation et de la formation
DAVID Jacques, Maître de conférence en sciences du langage
DE COCK Laurence, Historienne et enseignante
DELAYE Julien, Professeur de philosophie et formateur en Inspe
DOUAIRE Marc, Président de l’OZP
FRANDJI Daniel, Professeur en sciences de l’éducation
GALLOT Fanny, Historienne
GARCIA DEBANC Claudine, Professeure émérite en sciences du langage
GARNIER Pascale, Sociologue, Professeur en sciences de l’éducation
GASPARINI Rachel, Professeur des universités en sciences de l’éducation
GAUTHIER Roger-François, Inspecteur général honoraire
GEFFARD Patrick, Professeur émérite en Sciences de l’éducation et de la formation
GOURDET Patrice, Maître de conférence - Didactique du français
JOIGNEAUX Christophe, Professeur des universités en sciences de l’Education
JOUBLOT-FERRE Sylvie, Docteure en géographie
KAKPO Séverine, Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation
KARAKI Samah, Neuroscientifique, autrice
LAHIRE Bernard, Sociologue
LEGUEVEL Gwénaël, Président des cahiers pédagogiques
LELIEVRE Claude, Historien de l’éducation
LEROUX Xavier, Professeur des écoles et chercheur en didactique de la géographie
LHOSTE Yann, Professeur des universités en sciences de l’Éducation et de la formation
MEIRIEU Philippe, Professeur honoraire en sciences de l’Éducation
NETTER Julien, Maître de conférence en sciences de l’éducation
PAGET Denis, Professeur de lettres, ancien membre du Conseil Supérieur des programmes
PASQUIER Gaël, Formateur et chercheur en sociologie
PASSERIEUX Christine, Autrice
PESCE Sébastien, Professeur en sciences de l’Éducation
PLANE Sylvie, Professeur émérite de sciences du langage
PLOYE Alexandre, Maître de conférence en sciences de l’éducation
RAYOU Patrick, Professeur émérite en Sciences de l’éducation
REUTER Yves, Professeur émérite en sciences de l’éducation
ROBBES Bruno, Professeur des universités en sciences de l’éducation et de la formation
ROCHEX Jean-Yves, Professeur émérite en sciences de l’éducation
SAVOURNIN Florence, Enseignante chercheure
VAN ZANTEN Agnès, Directrice de recherche CNRS