La période de confinement a montré la professionnalisme et la grande capacité des enseignants à s’adapter. Leur engagement a été salué par le ministre lui-même et le premier ministre. Pour le SNUipp-FSU, il est indispensable que la confiance faite aux professionnels que sont les enseignant-es se poursuive lors du retour à l’école !
Rappelons que dans le domaine pédagogique, les guides nombreux et variés sont des ressources, que les enseignant-es sont libres d’utiliser ou non.
Le retour à l’école maternelle
Fiche « Accueillir et sécuriser les élèves »
La première fiche mise à disposition porte sur l’accueil et la sécurisation des élèves : c’est positif car les enseignant-es ne savent pas dans quel état arriveront les enfants, ni comment se manifesteront les conséquences de la situation actuelle. La fiche alerte sur des difficultés qu’il est effectivement bon d’anticiper : « Pour certains élèves, notamment les PS (voire les MS), le retour à l’école peut entrainer une anxiété semblable à celle de la première rentrée de septembre (séparation familiale difficile après la longue période de présence continue à la maison). »
Pour le SNUipp-FSU, il est par contre frappant de constater que l’organisation imposée par le protocole sanitaire : distanciation physique, impossibilité de jeux collectifs… n’est pas désignée comme source majeure de difficulté ! C’est pourtant ces aspects qui rendent la reprise particulièrement difficile à envisager pour les enseignant-es de maternelle.
Fiche « Faire le bilan des acquis des élèves, consolider et poursuivre les apprentissages en ciblant les enseignements essentiels »
Le ministère annonce que « Durant la période de confinement, les apprentissages n’ont pas pu être réalisés de la même manière qu’en classe. »
Ce type de formulation nous confirme que le ministère persiste à considérer que l’enseignement à distance est toujours de l’enseignement, même s’il reconnait que cet enseignement n’est pas entièrement équivalent… JM Blanquer est allé jusqu’à déclarer aux députés (commission des affaires culturelles et de l’éducation) le 21/04, que la « continuité pédagogique » est non seulement une réalité, mais une réussite, y compris pour le « soutien scolaire à distance, grand succès en ce moment ».
Une large intersyndicale de l’éducation et la FCPE ont été amenées à rappeler fermement, dans un communiqué unitaire le 1er avril dernier, que « si le lien éducatif a été maintenu avec les élèves dans la période de confinement, le fonctionnement normal de l’école s’est arrêté le 13 mars et à la reprise, tous les éléments de programme seront repris en tenant compte de ce temps suspendu : c’est cela qui constituera la continuité des apprentissages due à tous les élèves. »
Le SNUipp-FSU appelle la profession à la plus grande vigilance, quant aux projets du ministre pour l’école : devant les mêmes députés, JM Blanquer a annoncé des « états généraux du numériques » à la prochaine rentrée, en évoquant « la puissance d’action » donnée aux professeurs par le numérique, les états généraux pouvant « développer cette vision », car « la France peut être un leader mondial ».
La fiche de la DGESCO demande aux enseignant-es de « cibler l’essentiel des apprentissages, afin de les consolider et de les développer au mieux. L’enjeu est particulièrement important pour les élèves de GS qui vont entrer au CP au mois de septembre prochain. »
Mais qu’est-ce que « l’essentiel » ? Les indispensables échanges après l’isolement et l’atomisation vécus par les élèves ? Les jeux qui permettent de (re)faire lien, même avec des consignes sanitaires ? Un usage du langage ludique, exploratoire, jubilatoire ? Des activités créatives, de découvertes et de partages, à inventer malgré toutes les contraintes ?…
La déconnexion du ministère est confondante : non seulement il s’agit de « faire le bilan des acquis des élèves », dans un contexte de reprise dont on ne sait pas comment faire pour que les élèves (et les enseignant-es) le supportent, mais en plus « l’essentiel » ciblé relève des activités scolaires les plus traditionnelles. Citons par exemple : « Segmenter un mot en syllabes orales et les manipuler ; discriminer chiffre, lettre, mot ; réutiliser à bon escient et/ou hors contexte, les mots appris ; identifier les personnages et les principales informations les concernant – établir des liens (relations causales) ; dire la suite des nombres de 1 à 30 ; quantifier des collections jusqu’à 10 ; utiliser le nombre pour désigner un rang, une position… »
Le SNUipp-FSU appelle les enseignant-es à construire toutes les activités/situations d’apprentissages qu’ils et elles jugeront importantes pour les élèves, dans un contexte terriblement contraignant. Il rappelle à la profession qu’elle est seule à même de juger ce qui est réalisable, et surtout « essentiel », dans une situation totalement hors normes que nous n’avions jamais eu à affronter jusque-là.
Le retour à l’école élémentaire
Fiche « Accueillir et sécuriser les élèves »
Pour l’élémentaire comme pour la maternelle, la partie pédagogique du protocole ministériel commence de manière positive par « l’attention soutenue » qui doit être portée aux élèves : « Face à des élèves qui manifestent des inquiétudes, des questionnements par rapport à la situation particulière qu’ils viennent de vivre, l’adulte doit faire preuve de la plus grande empathie et permettre à chacun l’expression de l’anxiété ressentie. »
Mais comme pour la maternelle, la manière dont les élèves seront accueillis tout au long de la journée, surveillés et contraints, ne fait pas partie de ce qui est identifié comme source de mal-être et de difficultés… Le ministère ne mesure donc pas à quel point les contraintes sanitaires et de sécurité vont peser sur les élèves et les enseignant-es !
Fiche « Faire le bilan des acquis des élèves afin de les accompagner »
La fiche est introduite par l’annonce que « pour chacun des niveaux d’enseignement, la première semaine sera consacrée à effectuer un bilan des apprentissages ».
La première semaine n’est-elle donc pas nécessaire pour restaurer une relation en présentiel tout en essayant de trouver un équilibre et un rythme, dans un ensemble de contraintes jamais connues ?
Même si « le positionnement des élèves dans leur apprentissage peut être effectué par l’observation régulière des élèves » (ah, quand même !…), le ministère propose « des tests-bilans ponctuels, individualisés et/ou collectifs ». Les exercices CP et CE1, par exemple, sont tirés des évaluations nationales… Peut-on considérer que de telles activités correspondent à une reprise sécurisante et qui alimente l’envie de retrouver l’école ? Devons-nous rappeler au ministère que l’une des priorités sera de développer la confiance des élèves en leurs capacités à surmonter cette situation qui nous dépasse, et que des évaluations normatives risquent fort d’être contreproductives ?
Une « fiche navette est mise à disposition pour informer les parents du bilan des acquis et des objectifs d’apprentissage »
Si un dialogue doit se construire avec les familles, notamment sur ce qui a pu se faire à la maison, sans jugement ni culpabilisation, l’urgence n’est pas « de connaître les objectifs des apprentissages d’ici aux congés d’été », ni « d’échanger [par l’intermédiaire d’une fiche] avec le professeur sur le travail à la maison et ses objectifs pendant cette période ».
Là encore, quel décalage entre cette fiche navette destinée aux parents, et ce que pourront faire les enseignant-es, dans le contexte de protocole sanitaire, et dans la réalité de ce retour chaotique, partiel, progressif…
Fiche « Consolider et poursuivre les apprentissages d’ici la fin de l’année scolaire »
Il est à croire qu’aucun tsunami ne fera dévier le ministère de ses obsessions… ainsi est-il annoncé que « les enseignements seront principalement dédiés aux apprentissages fondamentaux ».
Sans surprise, les apprentissages en français et en mathématiques sont désignés comme prioritaires, avec des horaires renforcés. Faut-il rappeler que l’école française accorde d’ordinaire déjà plus de place aux « fondamentaux » que les systèmes éducatifs des pays réussissant mieux aux évaluations internationales ?
Pour le SNUipp-FSU, les enseignant-es, reconnus pendant le confinement comme des professionnels responsables, doivent décider de ce qu’ils et elles prioriseront en cette « reprise » extra-ordinaire.
À titre d’illustration, les 2h30 de lecture – écriture en CP sont-elles envisagées pour des productions sur ce que l’on vit, ce que l’on comprend de la situation ? Correspondre avec des absents ? Expérimenter l’écriture tâtonnée, des productions collectives, des productions prenant appui sur des imagiers ou autres supports ? Des jeux de poésie, chansons, comptines à lire et à écrire, à inventer ? Des lectures-découvertes favorisant échanges et expressions ?
La fiche ministérielle indique : Reprise et consolidation des correspondances graphèmes-phonèmes travaillées avant et pendant le confinement • Étude de nouvelles CGP à raison de 2h par semaine • Entraînement à la fluence (de mots et de textes 100% déchiffrables)…
Au CE, il est question de déchiffrage, de fluence, de dictée quotidienne…
Au CM, la fiche prévoit « entraînement à la compréhension » (voilà qui peut sembler bien mystérieux : s’entrainer à comprendre ?), « consolidation et apprentissage de deux à trois nouvelles notions grammaticales par semaine », dictée quotidienne…
Quelles pistes de réflexion… et d’action ?
Devant la commission des affaires culturelles et de l’éducation, le 21 avril, JM Blanquer a expliqué que la « vision pédagogique personnalisée » développée dans la période, sert l’objectif d’avoir « un chemin personnalisé pour chaque élève ». C’est « un des enjeux fondamentaux de la période » a-t-il précisé. Le ministre avait déjà annoncé des « règles nationales strictes, très claires » qui seraient données par la « doctrine pédagogique » de reprise…
Pour le SNUipp-FSU, face à l’isolement vécu ces dernières semaines par les élèves, la réponse ne peut pas être encore plus d’individualisation. Elle doit au contraire privilégier le collectif, les échanges, en tenant compte des mesures sanitaires que nous impose la situation. L’école c’est avant tout apprendre ensemble, reconstruisons en priorité les dynamiques collectives qui permettent à chacun-e d’avancer, du côté des élèves comme du côté des enseignant-es. Rappelons-nous par ailleurs, que la conférence de consensus du CNESCO en 2017 sur la différenciation pédagogique a montré que l’individualisation renforce les inégalités. Alors que le confinement a mis en lumière ces inégalités il serait incompréhensible que le ministère persiste dans la voie de la « personnalisation » et d’une individualisation des apprentissages et des parcours, alors même qu’il dit vouloir lutter contre les inégalités.
Pour le SNUipp-FSU, les préconisations ministérielles apparaissent de plus en plus déconnectées de la réalité du terrain, mais conformes au projet de JM Blanquer d’une école abstraite, où apprendre se confond avec répétition et mécanisation… Ce ministère avance à marche forcée « quoiqu’il en coûte » et utilise l’argument de la réduction des inégalités pour tenter d’imposer individualisation des apprentissages et, dès la rentrée n’en doutons pas, évaluations standardisées. Sa volonté de protocoliser et de normaliser dans ce contexte inédit est particulièrement choquante. Les préconisations ministérielles sont, de fait, de moins en moins en lien avec le réel et de plus en plus aberrantes.
Pour preuve, cette affirmation en fin de protocole, selon laquelle les « bilans » demandés serviront à ce que les « difficultés ou retards dans les apprentissages soient immédiatement pris en compte au début de la prochaine année scolaire. »
Il faudra reprendre l’école là où elle s’est arrêtée en s’appuyant notamment sur les cycles. D’ores et déjà, la profession peut s’exprimer sur le refus de se voir traitée en exécutant-es, sur la déconnexion des injonctions du ministère, sur le refus d’une école pilotée par des évaluations nationales standardisées. Soyons nombreux-ses, notamment, à témoigner dans l’Observatoire du métier enseignant du SNUipp-FSU : partageons nos expériences, et comme le disait Marc Bablet récemment sur son blog de Médiapart, il nous revient, à nous enseignant-es, de construire le récit de ce qui arrive à l’école, et de ce que nous en faisons.
Enfin, à rebours des suppressions de postes encore opérées au cours de cette carte scolaire, les enseignants auront besoin de tous les enseignants spécialisés des RASED et des psyEN, d’infirmières et de médecins scolaires, d’assistantes sociales…