Après le dépôt d’une « proposition de loi créant la fonction de directeur d’école » le 12 mai dernier, c’est au tour du Sénat de publier un rapport d’information pour « Mettre fin à un statu quo intenable : 16 préconisations pour améliorer la situation des directeurs d’école ». Sans surprise, il s’inscrit dans la logique de la proposition de loi « créant la fonction de directeur ».
Malgré tout, ce rapport porte un diagnostic étayé et assez juste sur les problématiques actuelles de la direction d’école. Les sénateurs-trices se sont appuyé-es sur des vécus de quelques collègues directrices et directeurs de différentes régions et exerçant dans divers types d’écoles et ont aussi entendu des constats et certaines revendications portés par les représentant-es des personnels.
Le rapport est d’ailleurs critique sur les solutions « d’urgence » proposées par le gouvernement considérant qu’elles ne répondent que partiellement aux attentes des directrices et directeurs d’école.
Cependant, la dimension « collectif de travail » pourtant au cœur du fonctionnement de l’école est quasi absente du rapport. Ni le conseil d’école, ni le conseil des maîtres ne sont évoqués.
Tout comme les député-es, les sénateurs-trices ont bien compris qu’un « statut de directeur » était refusé par la profession. Pour autant, certaines préconisations installent de fait le directeur et la directrice dans la chaîne hiérarchique via la création d’un emploi fonctionnel dont certains contours sont précisés.
Dans la continuité des courriers adressés aux député.es et sénateurs.trices, et des demandes d’audience auprès des président.es des groupes parlementaires, le SNUipp-FSU s’adresse aussi aux associations des maires pour faire part de ses analyses et de ses alertes. Vous trouverez ci-joint le courrier.
Les 16 préconisations du rapport sénatorial sont les suivantes
- Créer un emploi fonctionnel pour les directeurs d’école, s’accompagnant d’une revalorisation de leur régime indemnitaire
- Inscrire la relation entre directeur d’école et inspecteur de l’éducation nationale dans une logique partenariale de co-pilotage et de co-responsabilité
« L’emploi fonctionnel » porte toujours des ambiguïtés et laisse place à de nombreuses interprétations. Le cadre juridique de l’emploi fonctionnel tel qu’il existe dans la Fonction publique n’est pas réellement explicité : renouvellement limité, mobilité contrainte, poste à profil… Il est justifié ici par le fait de laisser la possibilité d’allers-retours entre des postes de professeur-e des écoles et de directeur d’école.
Mais les dangers de l’emploi fonctionnel pointés par le SNUipp-FSU sont bien présents. Les sénateurs-trices font reposer l’emploi fonctionnel sur des missions de direction d’école définies dans le cadre d’un contrat passé avec l’Etat, « une feuille de route » avec des objectifs à atteindre et donc à évaluer.
En prenant l’exemple des secrétaires généraux-ales de rectorat et en faisant référence à l’article 6ter rejeté dans la loi Blanquer, les rapporteurs-trices marquent clairement leur volonté d’inscrire la fonction de directeur dans la chaîne hiérarchique via cet emploi fonctionnel. « Le lien hiérarchique ne serait pas fonction de la personne, mais de la mission » est un effet de langage qui n’a pas de sens car ce sont bien les missions allouées à un fonctionnaire qui déterminent son action quotidienne ; la posture professionnelle est intrinsèquement liée à la mission. Il y a donc bien une dimension hiérarchique qui est établie et confirmée par une préconisation qui placerait le directeur-trice d’école au même niveau que l’IEN « co-pilotage et co-responsabilité ». La dimension managériale est clairement avancée, elle est justifiée habilement par la nécessité, partagée par beaucoup, de sortir « d’une culture d’infantilisation » dans les relations Directeur/IEN.
Au final, la proposition de loi et le rapport utilisent des termes soit similaires « emploi fonctionnel », soit différents « délégation de l’autorité académique » « co-pilotage et co-responsabilités avec l’IEN » mais qui convergent vers un seul et même objectif : un-e directeur-trice pourvu d’une autorité renforcée qui ne dit son mot, hiérarchique.
Tout cela confirme les alertes portées par le SNUipp-FSU sur les conséquences de ces évolutions qui modifieront profondément le fonctionnement de l’école et les relations entre le directeur-trice et les adjoint-es.
Un besoin de formation
- Prendre en compte dans la formation initiale l’ensemble des facettes du métier de directeur d’école
- Instaurer un ou deux ans après la prise de poste un nouveau temps d’échanges obligatoire afin de répondre aux questions pratiques nées des premiers retours d’expérience
- Réserver l’accès aux postes de direction d’écoles de grande taille à des directeurs disposant déjà d’une certaine expérience professionnelle
- Renforcer la formation continue, par une formation obligatoire sur les aspects du métier de directeur d’école tous les cinq ans.
Les préconisations avancées sur la formation correspondent en partie aux revendications du SNUipp-FSU. On sera cependant beaucoup plus prudent sur le fait de réserver l’accès aux postes de direction sur de grosses écoles à des directeurs-trices expérimenté-es car il s’agit de généraliser un système de postes à profil, déjà existant dans de nombreux départements.
Un besoin de temps
- Revoir les temps de décharge accordés, en créant une strate commune aux écoles de 1 à 3 classes, et en accordant un temps de décharge supplémentaire aux écoles de 4 à 7 classes
- Limiter les effets de seuils d’une baisse brutale du temps de décharge du fait de la fermeture d’une classe, en prévoyant une période de transition d’un an minimum
- Sanctuariser les jours de décharge pour les écoles de petite taille, en les prévoyant à l’avance, en concertation avec le DASEN, et en assurant de manière prioritaire le remplacement de tout enseignant absent le même jour dans l’école en question
- Disposer d’un temps de décharge supplémentaire aux périodes les plus chargées de l’année, pris en concertation entre le directeur d’école et le DASEN
- Penser la demi-décharge sur l’année scolaire plutôt que sur la semaine et inverser la notion de décharge pour les écoles de grande taille, avec un directeur d’école en charge d’enseignement à partir de 8 classes, et non plus un enseignant chargé de tâches de direction.
L’augmentation des décharges de direction correspond dans ce rapport aux préoccupations des directeurs et directrices d’école. Elle tient compte des petites écoles et ce besoin de temps ne semble pas conditionné à des missions supplémentaires contrairement à la proposition de loi.
Les rapporteurs-trices plaident pour une inversion de la conception de la décharge à partir de 8 classes, notamment en changeant de paradigme : on passerait d’un-e directeur-trice d’école avec des fonctions d’enseignement et non plus d’un-e enseignant-e avec des fonctions de direction. Cela acte, sans doute, une forme de reconnaissance de la fonction.
Cependant en annualisant la décharge et en la liant aux besoins de remplaçant-es à certains moments de l’année scolaire, on ne peut qu’être inquiet que cette « souplesse de gestion » n’aboutisse au final qu’à créer une instabilité durable de la décharge.
Directeur référent
Développer les échanges entre pairs, en mettant en place dans chaque circonscription académique plusieurs directeurs d’école référents pouvant répondre rapidement aux questions que se posent leurs pairs.
Même proposition que l’article 3 de la proposition de loi, mêmes interrogations sur les missions de ce référent. Le rôle de l’IEN est à nouveau interrogé, notamment sur l’équilibre entre « conseiller » et « évaluer ».
Les rapporteurs-trices pointent un juste constat : certain-es directeurs-trices considèrent qu’interroger l’IEN sur une difficulté rencontrée revient à admettre une faiblesse professionnelle qui pourrait leur être préjudiciable. Il faut veiller à ce que ces “échanges entre pair-es” ne se substituent pas à une véritable formation continue.
Aide administrative
Pour les écoles de 8 classes et plus, mettre en place une aide administrative, sous la forme d’un contrat de droit public de trois ans renouvelable une fois, bénéficiant d’une formation initiale conséquente pour être immédiatement opérationnel ainsi que d’une formation continue dans la perspective de sa reconversion professionnelle en fin de contrat.
Contrairement aux député-es qui renvoient l’aide à la direction et au fonctionnement de l’école aux collectivités, les sénateurs-trices semblent avoir davantage réfléchi à cette revendication largement portée et partagée. Ils excluent le recours aux volontaires en service civique en mettant en avant des arguments que nous ne pouvons que partager. Les tâches qui pourraient être confiées ou pas à cet emploi sont déclinées. Le cadre juridique posé est ici mieux sécurisé même si nous sommes encore loin d’un réel emploi public statutaire. Mais les écoles de moins de 8 classes sont écartées de cette mesure alors qu’elles constituent la majorité des structures et que les directrices et directeurs y disposent de moins de décharge. Cela ne prend pas en compte les tâches incompressibles inhérentes à chaque gestion d’école, quelle que soit sa taille.
Revoir les tâches confiées aux directeurs d’école
- Établir une nouvelle nomenclature des tâches et responsabilités, notamment en matière de sécurité, afin de définir précisément celles qui relèvent du directeur d’école et celles relevant de la collectivité locale
- Redonner du sens aux tâches exercées
- Procéder à une « chasse aux doublons »
Des préconisations auxquelles nous ne pouvons que souscrire puisqu’elles correspondent à nos mandats. La question de l’allègement et de la redéfinition des tâches de direction est un dossier récurrent, qui avait connu quelques avancées en 2014, mais qui aujourd’hui nécessite d’être réellement examiné. Ce devait être un sujet de discussion avec le ministère, mais cela est resté sans suite !