Théorie de l’inclusion et désintégration des enfants « à besoins particuliers » ?
Certains disent ou laissent penser que c’est la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » [1] qui introduit cette théorie inclusive.
Il n’en est rien : le mot « inclusion » n’existe pas une seule fois dans cette loi. Le verbe « inclure » y est présent juste pour indiquer que les évaluations, examens et concours peuvent inclure des dispositions particulières.
UPI, ULIS : de l’intégration à l’inclusion
Depuis quelques années, un glissement sémantique s’était doucement opéré sans que personne n’y voit de grandes conséquences :
- Dans les collèges puis les lycées, les Unités Pédagogiques d’Intégration (UPI) de 1995 étaient devenues des Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire (ULIS) à partir de 2010.
- Dans les écoles, les Classes d’Intégration Scolaire des années 90 étaient devenues des Classes d’Inclusion Scolaire depuis 2009, avant de se muer elles aussi en Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire (ULIS-École) via une circulaire du 21 août 2015 [2].
L’administration départementale fut un peu débordée au moment de la rentrée 2015 et ne se rendit compte que tardivement du changement de statut de la CLIS…
Les collègues n’ont donc pas encore pu voir ce que donnera concrètement cette circulaire.
Pour faire court :
- un enfant orienté en Ulis-École devra être inscrit dans une classe ordinaire de sa tranche d’âge :
Les élèves bénéficiant de l’Ulis sont des élèves à part entière de l’établissement scolaire, leur classe de référence est la classe ou la division correspondant approximativement à leur classe d’âge, conformément à leur projet personnalisé de scolarisation (PPS). - la circulaire précise cependant :
Ils bénéficient de temps de regroupement autant que de besoin.
Donc, sur le terrain il faudra interpréter au plus juste le « approximativement » et le « autant que de besoin », en espérant qu’aucune injonction extérieure à l’école ne vienne interférer avec la réflexion des équipes…
De l’ULIS-École vers le collège ?
Jusqu’à il y a peu de temps, un enfant scolarisé en CLIS pouvait se voir conseiller une affectation en ULIS-Collège avec intégration en SEGPA.
Cela correspondait grosso modo au profil des élèves détenant un petit niveau de CE2 avec encore un besoin d’attentions particulières justifiant l’ULIS.
Cela n’est plus possible aujourd’hui : l’orientation en ULIS-Collège ne permet plus l’inclusion en SEGPA, mais seulement dans une classe ordinaire de collège.
Ce qui reviendra souvent à placer en 6e au fond de la classe près du radiateur des élèves maîtrisant à peine les compétences de CE2 en français/math.
SEGPA et inclusion ?
La circulaire du 28 octobre 2015 [3], tout en réaffirmant le maintien de la structure Segpa à 4 classes, engage elle aussi dans la voie de la théorie inclusive.
- La Segpa y est définie comme :
une structure spécifique pour une meilleure inclusion des élèves - La classe de 6e Segpa est qualifiée de :
« prolongement du cycle de consolidation ». - L’organisation à partir de la 5e de Segpa stipule :
Les temps de regroupement au sein de la Segpa, qui sont majoritaires, ne doivent pas constituer la seule modalité d’enseignement proposée. - Les professeurs d’école spécialisés seront amenés à :
intervenir, en lien avec le professeur de la discipline, au sein des autres classes du collège.
On veillera à ce que chaque élève bénéficiant de la Segpa soit, dans ce cadre spécifique, rattaché toute l’année à une classe unique, afin de faciliter l’inclusion dans le groupe et le sentiment d’appartenance.
De nouveau, la théorie inclusive est mise en avant comme remède universel.
IME : retour à la case départ ?
Il est fort probable que les classes des établissements spécialisées disparaissent (complètement ?) d’ici peu de temps…
Là aussi, la mode serait au retour en classes ordinaires pour les enfants affectés en IME ou IMP.
Voire même en ITEP ?
Retour en classe accompagné bien sûr… dans un premier temps… de la présence d’un éducateur et de la « mobilité » de l’équipe de soins.
Retours en classe concentrés sur la même école pour des raisons pratiques ? Ce ne serait pas très raisonnable…
Accompagnements promis sur la durée ? Sur quels volumes horaires ?
L’effet premier que nous y voyons serait ravageur pour la profession. En effet, depuis une trentaine d’années, les enseignant-es ont procédé à une sorte de révolution culturelle à propos des « enfants à besoins particuliers ».
Aujourd’hui, leur place dans l’école n’est remise en cause par personne parce que la profession a évolué et parce que l’on sait que des dispositifs solides existent autour de l’école pour prendre en charge les cas les plus compliqués, les plus difficiles, les moins intégrables dans les classes ordinaires.
Remettre en cause, au nom d’une théorie inclusive, ces dispositifs d’intégration serait tout simplement une aberration qu’il faut éviter…
Au nom de l’inclusion ?
Sans oublier qu’entre le moment des réunions d’équipes éducatives ou des équipes de suivi de la scolarisation et la prise en charge effective (AVS, Ulis-École, IME, ITEP…) il s’écoule trop souvent de longs mois, voire des années…
Parfois même, la MDPH s’autorise à invalider le choix des équipes à la seule lecture du Gevasco : la demande est un « dossier », le « dossier » est refusé.
Notons en passant une particularité de ce Gevasco : c’est un document d’évaluation unique utilisé pour des enfants âgés de 3 à 17 ans.
Il ne viendrait à l’idée de personne d’évaluer les résultats scolaires d’un enfant de petite section de maternelle sur le même modèle que pour le lycéen scolarisé en classe de terminale… c’est pourtant ce qui se fait pour l’évaluation du handicap avec le Gevasco…
L’autre conséquence serait plus grave.
Que fera en classe ordinaire l’enfant orienté/désorienté ?
Attendre, comme il y a cinquante ans, que le temps passe ?
Quel gâchis !
À l’heure où la profession a montré sa volonté d’intégrer autant que faire se peut les enfants « à besoins éducatifs particuliers », voilà qu’une théorie inclusive risque de réduire à néant tout le travail pédagogique effectué… sans même aujourd’hui pouvoir compter sur l’appui des Rased démantelés…
Lorsque l’on parle d’inclusion scolaire, spontanément sont mis en avant les handicaps moteurs ou sensoriels.
Il va de soi que pour ces derniers, très fréquemment l’inclusion en classe ordinaire ne pose que peu de problèmes autres que matériels.
Sans oublier toutefois que l’accompagnement par des AVS-EVS ou la prise en charge par un-e enseignant-e spécialisé-e restent souvent nécessaires.
Ce n’est donc pas l’inclusion au titre de ces besoins particuliers-là qui est sensible mais bien celle relevant de troubles du comportement ou de la personnalité pour lesquels nous craignons que la théorie inclusive ne se substitue aux structures d’intégration
actuelles.
Luc MAMIN